Interview de Samantha Bailly / Par Orfilinn

Bonjour Samantha ! Tu reviens aux Imaginales pour la 3ème année consécutive. La première fois, en 2011, avait été couronnée par le Prix Imaginales des Lycéens pour La Langue du Silence (Au-delà de l’oraison, 1). Cette année, tu es le coup de cœur du festival…

– Je suis très touchée et émue. Cela m’oblige à regarder en arrière, et j’ai le vertige en voyant l’évolution depuis trois ans. Les Imaginales représentent beaucoup pour moi, aussi bien sur le plan affectif que professionnel. Ce festival est le lieu de rencontres devenues des amitiés, de moments magiques et de dialogues avec les acteurs de l’édition. Je repense au prix décerné par les lycéens, et à leur incroyable soutien depuis…

Ce besoin d’écrire, il est venu comment ?

– C’est une question très intéressante. Quand je prends un peu de hauteur sur mes choix de vie, qui ont tous d’une façon ou d’une autre convergé vers l’écriture, je me demande d’où une telle envie peut bien provenir. Qu’est-ce qui pousse à faire jaillir tant de mots ? À décrocher les histoires qui flottent dans sa tête, à les travailler, les structurer, les faire vivre ? J’ai toujours dit qu’écrire avait été pour moi une intuition intense et inévitable. En tombant sur une masse colossale de textes de mon enfance/adolescence, je me suis demandé depuis quand et comment cette passion s’est ancrée en moi. Quel processus mental était à l’œuvre ? Pourquoi ça et pas autre chose ?

Écrire, c’est raconter des histoires. Ce besoin de fiction, je crois que c’est d’abord le jeu. Pas uniquement les histoires racontées pour s’endormir, mais le moment où, en tant qu’enfant, nous prenons le contrôle des événements, nous tordons la réalité. Par exemple, en jouant avec des figurines, en construisant des maisons : péripéties, coups de théâtre, nous étions des démiurges et nous composions avec les choix de chacun.

La transition s’est opérée quelque part, à cette période, lorsque j’ai rencontré d’autres formes de narration : les livres, bien sûr, mais aussi les jeux vidéo. Tout cela s’est mélangé, et par mimésis sans doute, j’ai décidé d’écrire, pour voir. Sur papier un peu, mais surtout sur un très vieil ordinateur d’occasion. J’ai commencé, et je n’ai jamais arrêté.

 …Et donc ça a été assez naturel de se dire « je vais vivre de cette passion » ?

– Naturel, oui et non. J’ai toujours caressé ce rêve, mais sans oser y croire. L’équation est au final assez simple : j’ai une passion, j’aimerais y consacrer mon temps, mais il faut être indépendant et manger, gagner de l’argent, et donc travailler à autre chose 8h par jour. En gardant cela à l’esprit, j’ai conjugué l’écriture avec le réel, c’est-à-dire les études, puis le travail, sans jamais lâcher…

Lorsque l’année dernière, j’ai signé de nombreux contrats, j’ai peu à peu réalisé que finalement, j’arrivais à en vivre. Cela demande une grande organisation, d’accepter les périodes plus instables, mais pour le moment, tout se passe bien ! Je n’ai jamais été aussi sereine, à ma place. Pour pallier la solitude qu’implique ce mode de vie, j’écris une partie de la semaine dans les locaux des éditions Bragelonne, qui m’ont chaleureusement accueillie !

Tu œuvres dans différents types de littérature, comme la fantasy, le roman contemporain, le thriller young adult, voire le conte pour enfants… Pourquoi cet éclectisme ? Un goût pour l’exploration et la découverte ? Pour ne pas s’enfermer dans un style ?

– Je ne me suis jamais réveillée en me disant « Tiens, maintenant, tu vas écrire de la fantasy, ou bien du thriller, ou du conte ». Une histoire vient – sous forme de concepts, d’images, d’alchimie entre plusieurs éléments – et je l’écris. Qu’elle se passe dans notre univers ou un autre importe peu, ce sont juste différents prismes utilisés. À chaque fois, je deviens simplement habitée par une idée, et il me faut lui donner vie pour m’en détacher. Ça, c’est pour les projets qui s’imposent d’eux-mêmes.

Ensuite, il y a ce qui se rapproche de la « commande », dans le sens où un éditeur me démarche. Ce fut le cas pour La princesse au bol enchanté ou À pile ou face, le thriller chez Rageot. Tout le défi est alors de ne pas tomber dans l’exécution, mais d’aller puiser en soi la sincérité, voire la nécessité, pour cet exercice. C’est une autre façon d’écrire, mais la contrainte fait également beaucoup progresser. Cela permet de se poser d’autres défis, de se dépasser.

Touche-à-tout en littérature, ce n’est pas ta seule occupation, puisque tu as travaillé 2 ans pour Ubisoft sur l’univers de la série Might&Magic, tout en poursuivant tes études. Le sommeil, c’est du temps perdu ?

– Cette période où j’ai travaillé chez Ubisoft en même temps que mes études était très difficile. Je continuais à faire des salons avec mon précédent éditeur. J’ai donné énormément d’énergie sur plusieurs fronts, et pour être honnête, le jour où j’ai été diplômée, où mon CDD s’est achevé, et où mon éditeur de l’époque a fermé ses portes…, j’ai dormi 15h par nuit durant trois semaines. Vraiment, il y a des moments où l’on n’a pas le choix, où l’on donne tout ce que l’on a, mais le corps vient toujours avec la facture.

Tu as collaboré, fin 2012, avec l’illustratrice Ein Lee pour La Princesse au bol enchanté (Editions Nobi Nobi !). Comment s’est déroulé cette collaboration, la découpe de ton texte revisitant ce conte japonais, et sa mise en image par Ein Lee ?

– En fait, je n’étais pas directement intégrée dans le processus de collaboration avec l’illustratrice. La princesse au bol enchanté est un projet un peu particulier : les éditions nobi nobi ! avaient déjà signé avec Ein Lee pour ce projet de réadaptation d’un conte japonais. Ils cherchaient un auteur pour réécrire le texte original, et j’ai été sélectionnée après un test. Du coup, ce sont surtout les éditeurs qui ont travaillé avec elle à partir du conte que j’ai réécrit. Ils traduisaient chaque paragraphe en anglais et lui donnaient les directions artistiques pour les planches.

Ton diptyque Au-delà de l’oraison (La Langue du Silence, qui a obtenu trois prix en 2011 ! et La Chute des étoiles), ressort chez Bragelonne dans une intégrale sobrement intitulée « Oraisons« . Travailler avec Bragelonne, c’est venu comment ?

– C’est venu grâce aux Imaginales ! Disons que c’était un bon concours de circonstances. En mai 2012, j’étais une auteure assez démunie. Mille Saisons s’arrêtait, ce qui signifiait la fin de la publication d’Oraisons (anciennement Au-delà de l’oraison) et l’avortement du projet de publier mon autre roman de fantasy basé dans le même monde, Métamorphoses. Je venais de terminer un roman contemporain, Ce qui nous lie, et je ne savais pas à qui l’envoyer. J’étais perdue, je continuais à écrire, mais j’ignorais dans quelle direction aller côté édition.

Lors des Imaginales, je continuais à dédicacer beaucoup d’exemplaires d’Oraisons, je recevais des témoignages de lecture poignants. J’avais démarché quelques acteurs de l’imaginaire : en avoir déjà vendu 2000 exemplaires en micro-édition, me disait-on, cela signifiait que le roman avait achevé sa vie. J’étais assise à côté de Magali Ségura et Marika Gallman, qui m’ont conseillé de parler à Stéphane Marsan.

J’ai mis plusieurs heures avant de prendre mon courage à deux mains et d’aller vers lui lors du cocktail organisé en l’honneur des nouvelles auteures Bragelonne. Il connaissait déjà ce que je faisais, et m’a dit de lui envoyer mes romans de fantasy et Ce qui nous lie. Le 13 août 2012, j’ai reçu un email, l’un de ceux que l’on garde bien précieusement, où il me disait qu’il avait lu Ce qui nous lie, tout le bien qu’il en pensait, et que la question n’était pas de savoir si ce roman devait être publié, mais comment…

Ce qui nous lie sort le 18 avril chez Milady. Tu peux nous en parler ?

– C’est un roman qui cristallise de nombreuses images et réflexions sur la thématique des relations, de la dépendance affective, de la vérité et du mensonge, du traumatisme et de la guérison.

L’héroïne, Alice, a un don : la capacité de voir les liens se tisser et se rompre entre les individus. Les attaches lui apparaissent sous forme de fils lumineux, déployant une cartographie des relations affectives. Manifestation surnaturelle ? Hallucination provenant d’un choc psychologique ? Sans réponse médicale, la jeune femme a appris à vivre avec dans le plus grand secret.

Durant plus d’un an, Alice s’est servi de son pouvoir dans une optique de vengeance : dénoncer les hommes ayant des relations multiples. Elle décide finalement de briser ce schéma et de sortir de ce besoin maladif de vérité. Le roman commence lorsqu’elle reprend une vie plus balisée et normée, en démarrant un nouveau travail comme chargée de Ressources Humaines. C’est alors qu’elle rencontre Raphaël, son manager. Un homme dont elle ne peut voir les liens. L’exception à la règle.

Le roman dessine deux temporalités : le passé d’Alice, la découverte de son don, ce qui l’a conduit à devenir une chasseuse de trompeurs, ainsi que le présent, où elle est face au seul être humain pour lequel elle n’a pas de carte.

Quand penses-tu revenir à la fantasy ?

– Je suis en plein dedans ! Métamorphoses sortira cette année, même si je n’ai pas encore de date. Vous pourrez donc retrouver le personnage de Sonax dans un nouveau cycle parfaitement indépendant, mais truffé de clins d’œil et de liens avec Oraisons. Je travaille également sur une autre trilogie, plus jeunesse cette fois, intitulée Souvenirs Perdus. Les trois tomes sortiront entre 2014 et 2015 aux éditions Syros.

Orfilinn.